Audience auprès du groupe de philosophie de l’IGÉSR
13 janvier 2023
Participaient à cette audience, Frank Burbage, Doyen du groupe de philosophie de l’inspection générale Paul Mathias, Inspecteur général du groupe de philosophie. Marie Perret, Présidente de l’Appep Karine Cardinal, Vice-présidente de l’Appep Nous remercions nos interlocuteurs d’avoir accepté de nous recevoir. Nous rappelons le motif de cette demande d’audience : nous avons souhaité porter à la connaissance de l’Inspection générale le rapport, très préoccupant, de notre enquête sur l’année 2021-2022 et la session 2022 du baccalauréat. Frank Burbage nous assure qu’il l’a lu avec attention, et le groupe de philosophie avec lui. Le découragement des professeurs de philosophie Nous faisons état du découragement qui s’exprime de manière particulièrement aiguë dans ce rapport. Les professeurs de philosophie constatent la fragilisation de leur discipline et la dégradation de leurs conditions de travail. La philosophie pâtit de la mise en concurrence des spécialités : la spécialité HLP est peu choisie par les élèves et massivement abandonnée en fin de première. L’épreuve de philosophie est isolée au mois de juin et vidée de son enjeu. Les services des professeurs de philosophie se sont fragmentés, l’augmentation du nombre d’élèves rend la charge de correction chronophage, leurs tâches ainsi que leurs missions se sont multipliées. La fin de l’année scolaire a été particulièrement éprouvante puisque nos collègues ont parfois été requis pour corriger l’épreuve d’HLP, celle de philosophie, siéger dans les jurys du grand oral et faire passer les oraux du second groupe d’épreuves, en philosophie comme en HLP. Nos collègues s’épuisent à courir après le temps. Ils déplorent la dénaturation de leur métier. Il leur paraît de moins en moins possible de bien faire. Nous attirons l’attention de nos interlocuteurs sur les difficultés qu’ils rencontrent pour organiser des devoirs sur table en quatre heures. Nous leur demandons d’intercéder auprès des chefs d’établissement en faveur de la demande, largement partagée, d’une mise en place de plages horaires dévolues aux devoirs sur table. Nos interlocuteurs partagent ces constats et notre inquiétude. La dégradation des conditions de travail est générale et nous assistons à un changement de définition du métier. Les professeurs de philosophie ne doivent pas hésiter à solliciter l’Inspection pédagogique régionale quand l’éclatement de leur emploi du temps est déraisonnable, quand ils ne parviennent pas à organiser des devoirs sur table ou qu’ils subissent des pressions sur leur évaluation. Ils peuvent aussi s’appuyer sur le guide de l’évaluation en ligne sur Éduscol : celui-ci préconise l’organisation de « trois devoirs en temps limité au moins sur l’ensemble de l’année organisés dans les conditions de l’examen » ; les « documents d’accompagnement » publiés sur les pages Eduscol du ministèreproposent une échelle et des critères d’évaluation qui laissent à chaque professeur des marges de manœuvre et respecte sa liberté pédagogique. Pour soulager leur charge de correction, les professeurs peuvent donner aux élèves des travaux partiels, en groupe, en encore se contenter d’indiquer, sur les copies, les points que les élèves devraient retravailler. Les demandes de l’APPEP relatives à HLP Nous expliquons les défauts du programme de cette spécialité : celui-ci est trop ambitieux, trop indéterminé, trop historique. Nous demandons un programme de notions déliées du cadre historique dans lequel s’inscrivent les thèmes de l’actuel programme. Nous faisons part de l’insatisfaction que nos collègues ont exprimée à propos des sujets de la session 2022, jugés inadaptés et trop difficiles. Mais les sujets ne sont pas le seul motif de leur insatisfaction : c’est l’épreuve elle-même qui ne va pas. Les candidats manquent de temps pour réaliser en quatre heures deux exercices différents. Ils ont parfois du mal à les distinguer. Les attendus de ces exercices sont imprécis. Nos collègues qui ont corrigé l’épreuve en mai dernier ignoraient, pour beaucoup, ce qu’ils étaient en droit d’attendre des copies. Les commissions d’entente n’ont pas permis de clarifier les choses, ce qui pose le problème de l’équité de la correction. Nous déplorons la multiplication des exercices auxquels les élèves qui suivent la spécialité HLP doivent se préparer en terminale. Nous regrettons aussi que cette épreuve mette à mal la cohérence de l’enseignement de la philosophie. Non seulement la question d’interprétation n’aide pas les élèves à maîtriser l’exercice d’explication de texte, mais elle favorise un survol et une lecture impressionniste de celui-ci. Il en va de même de l’essai : cet exercice incite les élèves à répondre à une question qui ressemble à un sujet de dissertation, mais ne leur donne pas le temps nécessaire pour construire un problème et formaliser leur réflexion. Pour toutes ces raisons, l’Appep demande une simplification et une clarification de l’épreuve : l’explication, en quatre heures, d’un texte littéraire ou philosophique laissé au choix des candidats. L’Inspection générale (groupes de Lettres et de Philosophie) tient au format actuel de l’épreuve. L’interprétation et l’essai permettent d’installer la philosophie en première. Ce format contribue, de plus, à favoriser le pluralisme pédagogique, à découvrir de nouvelles formes de discursivité et à desserrer les contraintes rhétoriques de l’explication de texte et de la dissertation. Nos interlocuteurs considèrent que l’interprétation et l’essai ne sont pas étrangers à ce que les élèves apprennent à faire en philosophie de tronc commun : s’appuyer sur un point significatif du texte pour en restituer le sens, s’engager dans une position dont on tâche de saisir la portée et les limites sont deux gestes inhérents à l’explication de texte et à la dissertation. En tout état de cause, il faut faire preuve de pragmatisme et se donner le temps de voir ce que ce nouveau format donnera. Nos interlocuteurs nous informent qu’un séminaire du plan national de formation consacré à HLP sera organisé le 3 février prochain (avec un complément en « webinaire » le 13 mars, consacré pour sa part aux « parcours des élèves » et aux questions d’orientation). Il sera l’occasion de faire un premier bilan, réaliste et permettant de faire aussi apparaître ce qui fait difficulté. Il conviendra aussi de considérer les chiffres et de réfléchir à l’évaluation de l’épreuve. Les chiffres ne sont pas encore pleinement consolidés, mais il apparaît que l’épreuve d’HLP a donné lieu, en 2022, à l’un des moyennes les plus basses des épreuves de spécialité (11,5) après la spécialité Sciences de l’Ingénieur, la spécialité Mathématiques ayant la moyenne la plus élevée (14,7). Nous faisons remarquer que cette donnée est un signe supplémentaire que cette épreuve est mal conçue. L’harmonisation des notes Nous rappelons notre attachement à la tenue des réunions d’entente et d’harmonisation. Nous faisons part de la colère qu’a suscitée la tenue inédite de commissions d’harmonisation en comité restreint. Les notes ont été augmentées à l’insu des correcteurs et selon des critères purement statistiques. Cette pratique rompt avec le travail d’harmonisation que les correcteurs réalisent collectivement à partir de la lecture des copies. Elle n’a rien à voir non plus avec ce qui a lieu dans les jurys de délibération lorsqu’il est décidé collégialement d’accorder des points supplémentaires à un candidat pour qu’il passe un seuil. Il nous est répondu que les commissions d’entente et d’harmonisation seront maintenues « en présentiel ». La Dgesco a communiqué en ce sens auprès des DEC et du SIEC. Mais l’introduction du contrôle continu, la prise en compte des notes des deux spécialités dans Parcoursup, le fait que ces épreuves ont lieu sur deux jours, l’harmonisation de masse rendue possible par « Santorin » sont autant d’éléments qui obligent à repenser, de manière plus générale, l’harmonisation des notes. Nous apprenons que le ministère a mis en place une mission nationale chargée de réguler l’harmonisation. Celle-ci fixera des normes en termes de « bonnes pratiques » pour la session 2023. Nous comprenons que les épreuves de spécialité seront désormais harmonisées par les jurys académiques dans lesquels siègent des IA-IPR. Les prérogatives de ces jurys seront donc étendues. L’harmonisation se fera à deux niveaux : au niveau disciplinaire (dans le cadre des commissions d’harmonisation réunissant les correcteurs) et au niveau académique. Il est d’ores et déjà prévu par les groupes de Lettres et de Philosophie un moment de travail partagé, à l’issue des premières réunions d’entente et permettant de donner, s’il y a lieu, des indications de cadrage national. Nous soulignons la complexité de ce nouveau dispositif. Non seulement il ajoute de l’opacité à l’opacité, mais il parachève, en l’institutionnalisant, la dépossession des notes attribuées par les correcteurs : qu’elles soient relevées par des comités restreints ou par des jurys académiques, le résultat est le même. L’épreuve de philosophie Si nos collègues, dans leur grande majorité, ont jugé les sujets de la voie générale adaptés, l’explication de texte proposée dans la voie technologique suscite toujours des interrogations. Beaucoup constatent que la multiplication des questions détourne les candidats du texte au lieu de les inciter à l’analyser. Par ailleurs, la nature et les attendus de la dernière question de commentaire ne sont pas clairs : invite-t-elle les candidats à clarifier l’idée centrale du texte ou bien à la critiquer ? Nous rappelons nos deux demandes : que les textes proposés dans la voie technologique soient simples et que la dernière question formule explicitement l’idée centrale du texte. Le groupe philosophie n’entend pas revenir au modèle antérieur qui, dans la dernière question, invitait les candidats à discuter la thèse du texte. Celui-ci présentait l’inconvénient de confondre explication de texte et dissertation. La dernière question doit être une question de commentaire au sens classique du terme : elle doit inviter les candidats à penser précisément avec le texte et non pas à s’en éloigner pour disserter en général. Les candidats qui préfèrent l’exercice de dissertation choisissent l’un ou l’autre des sujets de dissertation qui leur sont proposés. Nous regrettons cette décision : la formulation antérieure donnait aux candidats un appui précieux pour comprendre le texte et aux concepteurs des sujets une pierre de touche qui leur permettait d’écarter des textes trop complexes ou trop sinueux. Nos interlocuteurs nous informent que les correcteurs disposeront désormais d’« éléments d’évaluation » qui exposeront les attendus des sujets proposés au baccalauréat, en philosophie comme en HLP. Ces éléments ne seront ni des corrigés ni des grilles d’évaluation : ils indiqueront, dans un format volontairement bref (2000 signes environ par sujet), des pistes de traitements possibles. Le dédoublement de la deuxième heure dans la voie technologique Nous rappelons notre demande constante du dédoublement de la deuxième heure de philosophie dans la voie technologique. Nos interlocuteurs reconnaissent que la situation n’est pas bonne. En dépit de l’insistance dont fait preuve l’Inspection générale, le ministère n’entend pas revenir à une mesure nationale, et renvoie la question aux décisions réputées autonomes des établissements et des équipes pédagogiques. Même si nous convenons que ses moyens sont limités, n’existe-t-il pas des marges de manœuvre ? L’Inspection générale ne pourrait-elle pas s’adresser aux chefs d’établissement pour expliquer la nécessité pédagogique du dédoublement ? Ses arguments pourraient être entendus, et les professeurs de philosophie se sentiraient soutenus face à l’administration de leur établissement. On nous indique qu’il ne revient pas à l’inspection générale, ès qualités, d’intervenir directement auprès de l’ensemble des chefs d’établissement — cela relève de la Dgesco. On peut en revanche imaginer des discussions ou des évaluations de projets au cas par cas — mais qui ne régleront pas la difficulté au plan national. Nous regrettons l’impossibilité d’envisager ensemble les moyens de sortir d’une situation très préjudiciable aux élèves et aux professeurs de philosophie. L’EMC Nous demandons à l’Inspection générale de soutenir la demande formulée par l’Appep et l’Apses : attribuer prioritairement aux professeurs de philosophie volontaires l’EMC en terminale. Il est en effet nécessaire de rétablir l’équilibre : dans l’écrasante majorité des établissements, l’EMC reste la chasse gardée des professeurs d’histoire-géographie. Cette situation est dommageable : l’analyse philosophique des notions au programme d’EMC est utile aux élèves et permet de se garder de toute forme de « catéchisme ». Le rapport du jury du Capes externe 2022 de philosophie en témoigne indirectement : les pistes esquissées pour analyser philosophiquement les « mises en situation » soumises aux candidats dans le cadre de la deuxième épreuve d’admission illustrent ce que notre discipline peut apporter à la réflexion sur la démocratie et les valeurs de la République. Par ailleurs, l’attribution de l’EMC aux professeurs de philosophie permettrait d’alléger un peu les services et de diminuer la charge de correction. Nos interlocuteurs conviennent que la philosophie a toute sa place dans cet enseignement, au même titre que les autres disciplines. Les heures d’EMC sont souvent utilisées comme variable d’ajustement pour consolider ou abonder certains services — et cela sans tenir compte des enjeux de formation. Toutes les disciplines ont vocation à s’approprier l’EMC. Mais l’attribution des heures d’EMC doit se décider localement, sur la base, (a) de l’identification des besoins de formation des élèves, (b) d’un projet disciplinaire et interdisciplinaire collectivement réfléchi et assumé : les professeurs de philosophie doivent présenter et argumenter leur projet dans le cadre du conseil pédagogique, en concertation avec les autres disciplines. La réforme des CPGE ECG Nous exprimons notre inquiétude à propos du projet de réorganisation des classes préparatoires économiques et commerciales ECG. Celui-ci envisagerait de diminuer d’un tiers l’horaire de l’enseignement de lettres et de philosophie. Le comité de pilotage s’est réuni le 13 décembre dernier. L’Inspection générale de philosophie a-t-elle été invitée à participer à cette réunion ? A-t-elle des informations sur ce qui est envisagé ? Il nous est répondu que l’Inspection de philosophie est actuellement consultée pour réfléchir à une refonte de cette filière, comme l’ensemble des groupes disciplinaires impliqués. De fait, l’attractivité des CPGE ECG diminue (la filière a perdu 1/6 de son effectif à peu près) : il convient d’en identifier les causes, probablement plurielles. Pour l’heure, il n’est pas question de diminuer les horaires, mais de s’interroger, notamment, sur le poids que les mathématiques doivent avoir dans cette filière et sur l’articulation de ces CPGE avec la nouvelle structure du lycée. La question est aussi posée des programmes, et celle de l’introduction éventuelle de modules ou de travaux interdisciplinaires, au sein desquels Philosophie et Lettres pourraient intervenir. Mais rien n’est encore arrêté : des groupes de travail associant les deux ministères, les associations professionnelles, les chefs d’établissement, sont au travail ; les arbitrages seront vraisemblablement rendus dans le courant de l’année 2023 pour publication au BO en janvier 2024. L’Appep suivra avec vigilance ce dossier. Questions diverses L’Inspection générale nous signale qu’une formation sur les nouveaux auteurs au programme sera organisée cette année en partenariat avec l’INALCO, avec une journée nationale à Paris le 7 avril consacrée aux « Philosophies d’ailleurs ». Elle tient aussi à aborder ce qu’elle appelle les « nouvelles frontières » de la philosophie. Elle attire notre attention sur le succès que rencontre l’option DGEMC et invite nos collègues à s’en saisir, d’autant que des parcours de formation sont désormais accessibles. Elle rappelle que les professeurs de philosophie interviennent dans la voie professionnelle, sous l’autorité des inspections pédagogiques régionales. Nous rappelons la position de l’Appep sur ce point : l’enseignement de la philosophie dans la voie professionnelle ne doit pas être abandonné à des expérimentations. Il doit être institutionnalisé par la création d’un CAPLP. Nos interlocuteurs y voient des perspectives intéressantes pour la discipline et, dans l’hypothèse où les enseignements de philosophie seraient généralisés dans la voie professionnelle, appellent de leurs vœux des CAPLP alliant la philosophie et les autres disciplines, générales ou professionnelles. La dernière demi-heure de cette audience est consacrée à un point d’information sur la conception des sujets du baccalauréat. L’inspection générale expose la manière dont se déroule ce travail. Nous demandons que les professeurs y soient plus largement associés : tous devraient pouvoir, au moins une fois dans leur carrière, participer aux commissions de conception des sujets. L’inspection générale se dit favorable à ce qu’il y ait une plus grande rotation des professeurs qui siègent dans ces commissions. Il estime raisonnable de limiter cette mission à quatre années. Elle invite les professeurs de philosophie qui souhaiteraient travailler à l’élaboration des sujets à se signaler auprès de leur IA-IPR. Nous remercions nos interlocuteurs pour cette audience qui aura duré deux heures trente et qui aura permis de clarifier les points d’accord et de divergence entre l’Appep et l’Inspection générale.
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